CP : Où trouve t-on des références de Freud parlant du fumeur dans ses écrits ? ?
Gui rentre dans la discussion.21:04:36
Auteur : J'allume une cigarette et je suis à vous.. pour répondre à votre question, nulle part dans son oeuvre officielle mais partout dans sa correspondance.
Auteur : En effet dans ses livres Freud n'a évoqué l'activité du fumeur que dans 2 ou 3 phrases parlant de suçottement et de masturbation.
CP : Dans la correspondance avec un interlocuteur en particulier ? ? ?
Auteur : D'abord avec son interlocuteur privilégié, son ami de coeur, Fliess, avec qui il a en quelque sorte inventé la psychanalyse.
Auteur : Puis pratiquement avec tous ceux avec qui il a correspondu, amis, collègues, parents, jouant le rôle de confidents et parfois de fournisseurs.
Auteur : Mais il n'a pas pour autant analysé ce penchant, dans sa correspondance, il en a seulement vanté l'indispensable stimulation, et le plaisir tyrannique que le tabac exerçait sur lui.
CP : Fliess fumait aussi en écrivant son courrier vers son illustre interlocuteur ? ?
Auteur : Eh non ! tout est là, Fliess était non fumeur, intéressé par les fosses nasales, donc très prédisposé à se faire l'interdicteur , le censeur de l'activité tabagique de son ami.
CP : Est-il vrai que Freud tentait d'être prosélyte du tabac à l'égard de ses disciples ?
Davidoff rentre dans la discussion.21:14:10
Auteur : Avant d'être prosélyte en ce qui concerne le tabac Freud le fut à propos de la cocaïne dont il fut un consommateur assidu, elle l'aidait à surmonter ses angoisses en particulier dans les réunions mondaines ou scientifiques.
Auteur : Puis il développa la meme attitude à l'égard du tabac, incitant ses disciples à fumer les mêmes cigares que lui, ce qu'ils ne manquèrent pas de faire, en raison du massif transfert qu'ils manifestaient à l'égard du maître.
Davidoff : Est-ce que ses enfants, et en particulier Anna, ont essayé de le dissuader de se détruire par le cigare, même si je trouve ça très bon...
Gui quitte la discussion.21:16:23
Flo rentre dans la discussion.21:17:14
Gui rentre dans la discussion.21:17:22
Sylvie rentre dans la discussion.21:18:27
Auteur : Son fils Martin raconte qu'il était stupéfait que des hommes puissent survivre dans une telle atmosphère, lorsque lui-même rentrait dans la salle des « réunions du mercredi », on voit là encore une fois que la psychanalyse est vraiment née dans les vapeurs du cigare.
Auteur : On connaît le mimétisme qui a fait choisir aux disciples de Lacan ses fameuses chemises et fumer les mêmes cigares coudés que l'auteur des Ecrits, alors qu'il n'est pas difficile d'imaginer que pour plaire à Freud ceux qui l'entouraient ont frénétiquement fumé des « Perle » ou des « Trabuccos » !
CP : Peut-on dire que Freud avait une attirance pour ce qui est toxique ? ? ?
Auteur : Dans un premier temps non, sans doute, car Freud a cessé la consommation de cocaïne quand il en a connu les dangers, du côté de l'affaiblissement de la conscience, il n'est pas devenu toxicomane, dans le sens où il a privilégié les toxiques stimulant les processus secondaires et non ceux qui excitent les processus primaires (hallucination, repli sur soi).
nb rentre dans la discussion.21:24:51
CP : Quels sont les cigares actuels qui ressemblent le plus à ces cigares freudiens (diamètre, longueur, empan phallique) ? ?
Auteur : Il faudrait pour répondre à cette question trouver le cigare dont la consommation prendrait une quarantaine de minutes, car c'est la durée de consumation de son cigare, temps de jouissance de Freud, qui a déterminé la durée de la séance psychanalytique, objet de tant de scissions postérieures, en particulier à propos de la séance courte lacanienne.
Auteur : Encore une fois on voit là le rôle non négligeable du tabac dans l'élaboration de la technique psychanalytique, et de sa théorie, bien sûr, lorsqu'on sait que Freud ne pouvait élaborer qu'un cigare à la main. Lors de ses (courtes) périodes d'abstinence, Freud ne pouvait plus produire d'écrits théoriques, seulement se livrer à sa correspondance.
Davidoff : En somme, si les cigares à l'époque avaient duré cinq minutes, c'est Lacan qui aurait gagné ?
Paul rentre dans la discussion.21:29:13
Auteur : Avec ses cigares coudés et plus petits on pourrait, si on ne savait quelle théorie du « temps logique » soutenait sa pratique, penser qu'en effet Lacan aurait gagné !
CP : A quelle stratégie répond votre volonté d'alterner chapitre « sérieux » et chapitre « littéraire » dans votre ouvrage ? ?
Auteur : J'aime qu'un livre, qu'il soit de psychanalyse ou d'autre chose, soit avant tout un livre qui privilégie le plaisir de la lecture, c'est une des raisons de mon choix, la seconde étant que cette alternance de passages théoriques et « littéraires » me permet d'illustrer ma pensée par des « vignettes cliniques » romancées.
Flo quitte la discussion.21:36:28
Auteur : Quoiqu'il en soit je pense que l'on peut avoir une écriture psychanalytique qui ne parle pas directement de concepts « psys » mais interroge le lecteur peut être plus directement de manière inconsciente.
CP : Vous proposez une vision hardie : Freud payait le prix de sa créativité en fumant. Est -ce bien sérieux ? ?
Auteur : Hélas oui, Freud en bon névrosé qu'il était a probablement ressenti le besoin inconscient de payer le prix fort dans son corps pour une découverte qui révolutionnait le monde de la connaissance, à la manière de Prométhée apportant aux hommes le feu pour éclairer leur condition et comme le titan il a payé d'une part de chair sa découverte « titanesque », sa manière à lui de reculer devant l'ampleur de son succès, mécanisme bien connu chez le névrosé.
Auteur : Sans doute l'apparition de son cancer lié à sa pratique tabagique l'a encouragé dans cette voie auto-punitive puisque la perspective de sa destruction n'a en rien enrayé sa passion pour le cigare, bien au contraire !
Davidoff : Vous est-il arrivé au cours de votre long accompagnement de Freud d'avoir envie d'intervenir en tant que thérapeute ?
Auteur : Certes la tentation posthume était grande de faire à Freud quelque interprétation ! Mais je dirais plus modestement que c'est sur moi que la découverte de la pente tragique de Freud a eu le plus d'effet, et sur ma pratique de fumeur, grandement accélérée par l'écriture de ce livre.
Auteur : Car l'objectif de mon livre est de faire de Freud un exemple paradigmatique, ce qui est arrivé au grand homme nous arrive à tous, qui usons ou abusons de la cigarette ; et notre chemin, sans doute moins génial, est cependant comparable.
Auteur : Psychanalyste ou non, le fumeur suit deux voies tressées aussi indissociables que pulsion de vie et pulsion de mort, qui contribuent toutes deux au plaisir de la cigarette, plaisir et risque.
Sylvie rentre dans la discussion.21:50:24
CP : À ce sujet (le magnétisme de la destruction), que pensez vous des campagnes de prévention contre le tabac ? ?
Auteur : Si mon hypothèse de départ est juste, les campagnes anti-tabac qui visent souvent autant le fumeur que son objet de consommation flattent la pulsion de destruction dans le sens du poil et risquent d'avoir l'effet pervers d'un encouragement inconscient.
Davidoff : Sans doute sommes-nous tous capables de subir les mêmes choses, mais le cancer de Freud, malgré ou grâce aux nombreuses interventions, ne s'est pas généralisé, n'est-ce pas ?
Auteur : En effet, et c'est même assez surprenant sauf si l'on pense au symptôme comme compromis, permettant à Freud à la fois la poursuite de ses travaux et la castration en punition de l'audace de ses découvertes et si l'on veut poursuivre le parallèle avec Prométhée, on peut penser que sa volonté inconsciente était d'être dévoré et non foudroyé, comme en témoigne sa peur d'une atteinte cardiaque, dont les alertes ont réussi à lui imposer des périodes d'abstinence que le cancer n'a jamais su obtenir de lui.
CP : Dans cet esprit, comment comprenez vous l'attitude rigoriste des non-fumeurs contre les fumeurs ? ?
Auteur : Nous sommes tous fumeurs ! En tous cas tous concernés au plus près par cette question, ne serait-ce que parce que le monde connaît, après la différence des sexes, une nouvelle division, fumeur, non-fumeur, qui imprime sa marque sur le corps social. D'autre part, la violence des attaques, des non fumeurs leur dégoût manifeste, est sans doute à entendre comme une« formation réactionnelle » au sens freudien, autrement dit une forte attirance pour le produit en question, transformée en son contraire : dégoût, répulsion...
Davidoff : Freud aurait-il pu dire, en paraphrasant Descartes, « Je fume, donc je suis »
Auteur : « je fume donc je pense » est sûrement la formule la plus proche de celle de Descartes, tant les volutes de la fumée donnaient à Freud une image de sa pensée, de l'attention flottante à l'oeuvre dans la séance au cheminement d'une hypothèse...
Auteur : Freud aurait même pu dire davantage si l'on pense qu'il a choisi l'incinération, mode d'obsèques non conforme à sa religion juive, peut être en effet pour s'identifier à la fumée de son cigare et finir dans un cratère grec, un vase de sa collection, un cendrier en quelque sorte.
CP : Quelle distance y a-t-il entre la tabagie de Freud et la toxicomanie ? Freud toxicomane ? ?
Auteur : La toxicomanie au sens actuel, drogue dure, stimule les processus primaires, par la voie de l'hallucination, et d'une régression narcissique, le tabac en revanche stimule les processus secondaires de la pensée, élaboration, contact social, théorisation, dans ce sens Freud n'est donc pas toxicomane à mon sens.
CP : Une tabagie compulsive pourrait-elle néanmoins correspondre à une forme de toxicomanie ? ?
Auteur : Il n'y a aucun doute que la tabagie de Freud fut pour lui un outil aussi indispensable que son stylo et sa bibliothèque, en ce sens il est difficile d'en parler comme d'une toxicomanie. Le seul point commun est du côté de la destruction, où en effet une question se pose....
Auteur : Si l'on prend comme point commun la satisfaction de la pulsion de mort, une tabagie compulsive pourrait en effet être considérée comme toxicomanie, surtout si l'aspect compulsif passe loin devant l'aspect stimulant, le geste perdant alors toute intention consciente hors la recherche du plaisir immédiat.
Gui rentre dans la discussion.22:19:22
Gui : Ce que vous dites, et interprêtez en fonction du tabac, ne pourrait-il pas s'appliquer à Freud-l'alcool ou Freud-la bouffe ?
CP : Pourrions nous revenir à la notion d'abstinence si présente dans le cadre analytique. Quelle est la parenté de cette notion avec sa tabagie chez Freud ? ?
Auteur : On pourrait en effet, sauf que s'il y a eu un Freud- tabac il n'y a pas eu à ma connaissance un Freud-l'alcool ni un Freud-la bouffe, cependant vous reconnaîtrez que la sphère orale est largement prédominante dans ces deux derniers cas, et non dans le cas du tabac, qui dépasse largement cette sphère (présente bien entendu) pour déborder sur l'analité et le phallique, ce qui est moins net pour l'alimentaire et les spiritueux.
Gui : Pourquoi l'analité ?
Auteur : Toujours pour Gui : le tabac peut de mon point de vue être considéré comme un « passe-partout du désir », ouvrant donc toutes les portes pour toutes les structures psychiques, ce qui n'est pas le cas de l'alcool ou de la nourriture.
davidoff : Que serait-il advenu de la psychanalyse si Freud avait été non fumeur ?
Gui : Je vais reflechir...
CP : Fin du chat dans 5 minutes.
Auteur : En ce qui concerne l'analité, le tabac a le mérite de transformer en un temps record l'objet du désir en objet de rebut, mégot écrasé dans le cendrier dans un mouvement de rejet aussi vif que le mouvement de désir qui a présidé à son allumage. Déchet, rejet, nauséabond, vous voyez que la sphère anale n'est pas loin, sans aller jusqu'à parler de l'agressivité typique de ce registre, qui se manifeste chez les non fumeurs comme chez certains fumeurs provoquants.
Gui : Merci...
CP : Après la chanson et le tabac, quel est votre prochain sujet de livre ?
Davidoff : Un grand merci dans un nuage de fumée et bravo !
Gui : Merci, dommage qu'on ait pas le droit à une petite chanson pour finir...
CP : Ne croyez vous pas que le tabac mobilise aussi tout ce que Spitz nommait la cavité primitive : l'ensemble de l'oro-pharynx ? ?
Auteur : Que le tabac mobilise du primitif me semble évident si l'on pense à la métaphore du fort-da, jeu destiné à maîtriser la séparation précoce d'avec la mère, le tabac par le mouvement qu'il provoque de rejet et d'incorporation est proche du jeu de la bobine décrit par Freud.
Auteur : Du gris , que l'on roule entre ses doigts....merci !
CP : Merci à tous pour votre participation. Prochaine Cyberscopie F. Quartier Frings pour son livre « Schizophrénies, dialogues. Entretiens psychanalytiques et psychiatrie » Vidéo en ligne le 6 juin et chat le 27 juin à 21H. Bonsoir à tous.
Auteur : Un livre humoristique : comment mieux jouir de ses symptômes....
Gui : Euh... C'est fini ?